Message de Jean Paul II à l’eminent M. Riccardo di Segni Grand Rabbin de Rome

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Jean-Paul II

Città del Vaticano       22/05/2004


A l'éminent M. Riccardo DI SEGNI
Grand Rabbin de Rome

Shalom!

"Voyez! Qu'il est bon, qu'il est doux d'habiter en frères tous ensemble!"

"Hinneh ma tov u-ma na'im shevet akhim gam yakhad!" (Ps 133 [132], 1).

1. C'est avec une joie profonde que je m'unis à la communauté juive de Rome qui célèbre les cent ans du Grand Temple, symbole et souvenir de la présence millénaire du peuple de l'Alliance du Sinaï dans cette ville. Depuis plus de deux mille ans, votre communauté fait partie intégrante de la vie de l'Urbs; elle peut se vanter d'être la communauté juive la plus ancienne d'Europe occidentale et d'avoir joué un rôle important dans la diffusion du judaïsme sur ce continent. C'est pourquoi la commémoration d'aujourd'hui revêt une signification particulière pour la vie religieuse, culturelle et sociale de la capitale et ne peut manquer d'avoir un écho tout à fait particulier également dans le coeur de l'Evêque de Rome! Ne pouvant participer personnellement à cette célébration, j'ai demandé à mon Vicaire général pour le diocèse de Rome, le Cardinal Camillo Ruini, accompagné par le Président de la Commission du Saint-Siège pour les Rapports religieux avec le Judaïsme, le Cardinal Walter Kasper, de me représenter. Ce sont eux qui vous exprimeront de façon concrète mon désir d'être avec vous en ce jour.

En vous adressant, M. Riccardo Di Segni, mon salut respectueux, j'étends ma pensée cordiale à tous les membres de la Communauté, à son Président, M. Leone Elio Paserman, et à tous ceux qui sont réunis ici pour témoigner une fois de plus de l'importance et de la vigueur de l'héritage religieux que l'on célèbre chaque samedi dans le Grand Temple. Je voudrais adresser un salut particulier au Grand Rabbin émérite, M. Elio Toaff, qui, avec un esprit ouvert et généreux, m'a reçu dans la Synagogue à l'occasion de ma visite, le 13 avril 1986. Cet événement demeure gravé dans ma mémoire et dans mon coeur comme le symbole de la nouveauté qui a caractérisé, au cours des dernières décennies, les relations entre le peuple juif et l'Eglise catholique, après des périodes parfois difficiles et tourmentées.

2. La fête d'aujourd'hui, à la joie de laquelle nous nous unissons de tout coeur, rappelle le premier siècle de ce grand Temple majestueux, qui, dans l'harmonie de ses lignes architecturales, s'élève sur les rives du Tibre pour témoigner de la foi et de la louange au Tout-Puissant. La communauté chrétienne de Rome, par l'intermédiaire du Successeur de Pierre, participe avec vous à l'action de grâce au Seigneur pour cet heureux anniversaire. Comme j'ai eu l'occasion de le dire au cours de la visite que j'ai évoquée, nous vous saluons comme nos "frères bien-aimés" dans la foi d'Abraham, notre Patriarche, d'Isaac et de Jacob, de Sarah, de Rebecca, de Rachel et de Léa. Saint Paul, en écrivant aux Romains (cf. Rm 11 16-18), parlait déjà de la racine sainte d'Israël, sur laquelle les païens sont greffés dans le Christ; "car les dons et l'appel de Dieu sont sans repentance" (Rm 11, 29) et vous continuez à être le peuple premier-né de l'Alliance (Liturgie du Vendredi Saint, Prière universelle, Pour les Juifs).

Vous êtes citoyens de cette Ville de Rome qui, depuis plus de deux mille ans, bien avant que Pierre le pécheur et Paul enchaîné ne vous rejoignent, soutenus intérieurement par le souffle de l'Esprit. Ce ne sont pas seulement les Ecritures Saintes, que nous partageons dans une large mesure, pas seulement la liturgie, mais également les très anciennes expressions artistiques qui témoignent du lien profond de l'Eglise avec la Synagogue, de cet héritage spirituel qui, sans être divisé, ni répudié, a été donné aux croyants dans le Christ, et constitue un lien indissoluble entre vous et nous, peuple de la Torah de Moïse, olivier saint sur lequel a été greffée une nouvelle branche (cf. Rm 11, 17).

Au Moyen-Age, certains de vos grands penseurs, comme Juda ha-Levi et Moïse Maimonide, ont tenté d'étudier de quelle façon il était possible d'adorer ensemble le Seigneur et de servir l'humanité souffrante, préparant ainsi les voies de la paix. Le grand philosophe et théologien, bien connu de saint Thomas d'Aquin, Maimonide de Cordoue (1138-1204), dont nous commémorons cette année le VIII centenaire de la disparition, exprima le souhait qu'une meilleure relation entre juifs et chrétiens puisse conduire "le monde entier à l'adoration unanime de Dieu, comme il est dit: "Oui, je ferai alors aux peuples des lèvres pures, afin qu'ils puissent servir [Yahvé] sous un même joug" (Sophonie, 3, 9)" (Mishneh Torah, Hilkhòt Melakhim XI, 4, éd. Jérusalem, Mossad Harav Kook).

3. Nous avons parcouru un long chemin ensemble depuis ce 13 avril 1986 lorsque, pour la première fois - après l'Apôtre Pierre - l'Evêque de Rome vous rendit visite: ce fut l'accolade de frères qui se retrouvaient, après une longue période au cours de laquelle n'ont pas manqué les incompréhensions, les refus et les souffrances. L'Eglise catholique, à travers le Concile Vatican II, ouvert par le bienheureux Pape Jean XXIII, en particulier après la Déclaration Nostra aetate (28 octobre 1965), a tendu ses bras vers vous, se souvenant que "Jésus est juif, et il l'est pour toujours" (Commission pour les Rapports religieux avec le judaïsme, Notes et suggestions, [1985]: III, 12). Au cours du Concile Vatican II, l'Eglise a répété de façon claire et définitive le refus de l'antisémitisme sous toutes ses formes. Toutefois, la désapprobation et la condamnation, bien que nécessaires, des attitudes hostiles à l'égard du peuple juif, qui ont souvent caractérisé l'histoire, ne suffisent pas; il faut également approfondir l'amitié, l'estime et les rapports fraternels avec eux. Ces relations amicales, renforcées et accrues après le Concile du siècle dernier, nous voient unis dans le souvenir de toutes les victimes de la Shoah, en particulier de tous ceux qui, en octobre 1943, furent arrachés à leurs familles et à votre chère communauté juive romaine pour être envoyés à Auschwitz. Que leur souvenir soit béni et nous incite à oeuvrer en frères.

Il est nécessaire, en outre, de rappeler tous les chrétiens qui, sous l'impulsion d'une bonté naturelle et d'une rectitude de conscience, soutenus par la foi et par l'enseignement évangélique, ont réagi avec courage, notamment dans cette ville de Rome, pour apporter une aide concrète aux Juifs persécutés, en offrant leur solidarité et leur aide parfois au risque de leur vie. Leur mémoire bénie reste vivante, ainsi que la certitude que pour eux, comme pour tous les "justes des nations", les tzaddiqim, une place est préparée dans le monde à venir, lors de la résurrection des morts. On ne peut pas non plus oublier, à côté des déclarations officielles, l'action souvent cachée du Siège apostolique, qui est venu en aide de nombreuses façons aux Juifs en danger, comme cela a été reconnu également par leurs représentants faisant autorité (cf. "Nous nous souvenons: une réflexion sur la Shoah", 16 mars 1998).

4. En parcourant, avec l'aide du Ciel, cette route de fraternité, l'Eglise n'a pas hésité à "déplorer les fautes de ses fils et filles en tout temps" et, dans un acte de repentance (teshuvà), elle a demandé pardon pour leurs responsabilités liées de quelque façon aux plaies de l'antijudaïsme et de l'antisémitisme (ibid.). Au cours du grand Jubilé, nous avons invoqué la miséricorde de Dieu, dans la sainte Basilique dédiée à la mémoire de Pierre à Rome et, à Jérusalem, dans la ville bien-aimée de tous les juifs, coeur de la Terre qui est sainte pour nous tous. Le Successeur de Pierre est monté en pèlerin sur les Monts de Judée, il a rendu hommage aux victimes de la Shoah à Yad Vashem, il a prié à vos côtés sur le Mont Sion, au pied de ce lieu saint.

Malheureusement, la pensée tournée vers la Terre Sainte suscite dans nos coeurs préoccupation et douleur en raison de la violence qui continue de frapper cette région, du sang de trop d'innocents qui continue d'être versé par les Israéliens et les Palestiniens, qui obscurcit l'apparition d'une aube de paix dans la justice. C'est pourquoi nous voulons adresser aujourd'hui une prière fervente à l'Eternel, dans la foi et l'espérance au Dieu de Shalom, afin que l'inimitié n'entraîne plus dans la haine ceux qui se réclament du père Abraham, - juifs, chrétiens et musulmans - et qu'elle cède la place à la conscience claire des liens qui les unissent et de la responsabilité qui pèse sur les épaules des uns et des autres.

Nous devons encore parcourir un long chemin: le Dieu de la justice et de la paix, de la miséricorde et de la réconciliation nous appelle à collaborer sans hésitation dans notre monde contemporain, déchiré par les conflits et les inimitiés. Si nous savons unir nos coeurs et nos mains pour répondre à l'appel divin, la lumière de l'Eternel se rapprochera pour illuminer tous les peuples, en nous montrant les voies de la paix, du Shalom. Nous voudrions les parcourir d'un seul coeur.

5. Non seulement à Jérusalem et sur la Terre d'Israël, mais également ici, à Rome, nous pouvons faire beaucoup ensemble: pour ceux qui souffrent à nos côtés du fait de l'exclusion, pour les immigrés et les étrangers, pour les faibles et les indigents. En partageant les valeurs de la défense de la vie et de la dignité de chaque personne humaine, nous pourrons accroître notre coopération fraternelle de façon concrète.

La rencontre d'aujourd'hui est presque une préparation à votre solennité imminente de Shavu'òt et à notre solennité de Pentecôte, qui célèbrent la plénitude des fêtes respectives de Pâques. Que ces fêtes puissent nous voir unis dans la prière de l'Hallel pascal de David:

«Hallelu et Adonay kol goim
shabbehuHu kol ha-ummim
ki gavar ‘alenu khasdo
we-emet Adonay le-‘olam»



“Laudate Dominum, omnes gentes,
collaudate Eum, omnes populi.
Quoniam confirmata est super nos misericordia eius,
et veritas Domini manet in aeternum”
Hallelu-Yah (Sal. 117 [116])

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Inserito 01/01/1970