Groupe de Travail
Germania 19/02/1988
Avis de la Commission permanente du ZdK sur la Déclaration du groupe de travail « Juifs et Chrétiens ».En 1988, il y aura cinquante ans qu'a eu lieu l'horrible progrom contre les juifs, dans la nuit du 9 novembre 1938, entré dans l'histoire sous le nom de la c/ Nuit de cristal ». Sur les synagogues, en Allemagne, on voyait des colonnes de flammes, les cimetières 'titis étaient profanés, les magasins et les foyers des citoyens juifs, pillés et démolis. Les juifs furent emprisonnés, maltraités, assassinés. Cet événement fut comme un fanal sur la route qui menait à l'avilissement et à l'extermination de millions de »ifs en Europe.
Le Comité central des catholiques allemands remercie le groupe de travail s Juifs et -Chrétiens» de la Déclaration élaborée en souvenir des événements de 1938. Sous le titre a 50 ans après -- comment parler de faute, de souffrance et de réconciliation?», elle nous met devant la question sans cesse reposée de la nature et de la mesure de notre responsabilité. Si cette question est laissée sans réponse, il ne peut y avoir aucune base solide de rencontre pour les catholiques allemands et les juifs. C'est une question sans cesse ressentie par notre peuple. et aussi dans notre Eglise, comme embarrassante et douloureuse.
L'importance particulière de cette Déclaration vient de ce qu'elle est faite en commun, pas des juifs et des chrétiens. Ceux qui sont conscients du poids de l'histoire qui pèse sur la relation entre juifs et chrétiens, en Allemagne. apprécieront à sa juste valeur l'importance d'une telle communauté de pensée.
La Déclaration veut être un rappel et dégager des chemins pour l'avenir. Elle explique que le mystère de la rédemption s'appelle mémoire. Elle montre les voies de la conversion et de la pénitence qui conduisent A la réconciliation dans la rencontre. Juifs et chrétiens, contemporains de cette époque et plus jeunes, affrontant ensemble le passé et travaillant à la conversion et à la pénitence, découvrent qu'ils se trouvent sur le terrain de cette éthique, enracinée dans les dix commandements, dont ils portent en commun la responsabilité. La grande valeur de la Déclaration vient de ce qu'elle explore en profondeur le lien entre la réconciliation avec Dieu et la réconciliation entre les hommes, la faute et le pardon. Elle n'éclaire pas seulement sur ce qui diffère et ce qui est commun entre les pensées pive et chrétienne, mats elle décrit aussi les étapes du chemin qui mène à la rencontre.
Le Comité central des catholiques allemands exprime l'espoir que la Déclaration du groupe du travail It Juifs et Chrétiens » contribuera à ce que les pas faits actuellement les uns vers les autres soient suivis de beaucoup de pas ensemble, qui nous conduisent -- réconciliés — vers l'avenir.
Texte adopté à la réunion du 19 février 1988, à Bonn - Bad Godesberg.
La Déclaration
50 ans après -
comment parler de faute,
de souffrance et de réconciliation?
La volonté d'oublier prolonge l'exil,
et le mystère de la rédemption s'appelle mémoire1
Le temps presse
En novembre 1988, cesera le 50ème anniversaire du mur qui fut appelé, par dérision, « la Nuit de cristal» (Reichskristallnacht). Ces excès de violence marquaient une plus grande radicalisation de la persécution des juifs qui aboutit au meurtre de 6 millions d'hommes, de femmes et d'enfants juifs. Triste bilan de ce pogrom organisé par le gouvernement dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938: près de 100 juifs furent assassinés, beaucoup furent maltraités, et plus de 30.000 furent envoyés dans des camps de concentration. Dans toute l'Allemagne, des synagogues et des cimetières lurent profanés, incendiés ou détruits, des magasins et des habitations de juifs furent pillés et démolis.
A la différence de la Shoah,' qui devait avoir lieu plus tard dans les camps d'extermination, ces événements se passaient sous les yeux de tous. Non seulement on pouvait, mais on devait les voir! Aussi une question nous obsède-t-elle aujourd'hui, à savoir comment l'humanité, et notamment les chrétiens, ont réagi devant ces événements. Il y a eu beaucoup d'indifférence et de bassesse, de violence brutale, de pillages systématiques, de plaisir manifeste à faire le mal, mais aussi des signes d'indignation, de sympathie et d'entraide.
Dans cette Déclaration, nous n'avons pas à formuler de jugement historique sur le comportement de ceux qui ont participé à ces événements. Pourquoi les Eglises n'ont-elles pas condamné alors plus clairement et distinctement ce qui s'est passé pendant cette nuit de pogroms? et dans quelle mesure cela fut-il dû au fait que les Eglises n'avaient pas suffisamment conscience de leurs liens avec le peuple juif?: c'est une question qui demande une réflexion spéciale, urgente. Mais le fait que les Eglises se soient comportées ainsi est un poids qui pèse aujourd'hui encore sur les relations entre juifs et chrétiens. En tant que membres du groupe de travail Juifs et Chrétiens » auprès du Comité central des catholiques allemands, nous sommes particulièrement touchés par le silence des évêques à cette époque, ils étaient les seuls à pouvoir encore parler publiquement. Leur refus répété et sans appel du racisme nazi 3 aurait pu se concrétiser ici, même si, et peut-être même parce que l'Eglise se trouvait elle-même en grande difficulté 11 aurait suffi, pour prendre nettement position, de quelques paroles simples, telles celles de Bernhard Lichtenberg, curé de la cathédrale de Berlin: « Ce qu'il en a été hier, nous le savons: ce qu'il en sera demain, nous l'ignorons: mais ce qui est arrivé aujourd'hui, nous l'avons vécu: Dehors, la synagogue brûle. Elle est aussi une maison de Dieu» 4
Aujourd'hui encore, un demi-siècle plus tard, juifs et chrétiens, nous restons sans voix devant l'inconcevable horreur de ce qui s'est produit sous le régime nazi. Juifs et chrétiens ont encore de la peine à surmonter cette incapacité de parler.
En 1979, notre groupe de travail a fait un pas nécessaire, ouvrant de nouveaux horizons au dialogue et à la collaboration théologiques entre »ifs et chrétiens, en publiant la Déclaration «Axes théologiques du dialogue entre juifs et chrétiens».5 Elle était, et elle demeure une base utile et suffisante pour nos discussions theoIon/nues qui amènent à un dialogue dont « la dimension véritable et centrale est la rencontre entre les Eglises chrétiennes d'aujourd'hui et le peuple actuel de l'alliance conclue avec Moise ».
Cependant les juifs les chrétiens ne sont pas séparés seulement par la théologie. Nous ressentons, de diverses manières, le poids de l'histoire. Au sein de notre groupe de travail, nous avons d Cl faire expérience douloureuse que le temps ne guérit pas de lui-même les blessures. Nous avions cru avoir appris, en quinze ans de dialogue judéo-chrétien. comment réfléchir, prier. agir et vivre ensemble Et cependant la pénible controverse suscitée par la visite du président Reagan et du chancelier Kohl au cimetière militaire de Bitburg, qui voulait être un geste de réconciliation, a été pour nous comme la réouverture de plaies cicatrisées Non seulement dans les débats publics, mais entre nous aussi, s'élevait un mur de malentendus et d'irritation qui mettait fondamentalement en cause lea nous » de juifs et de chrétiens en Allemagne. Pour certains, il sembla pendant quelque temps impossible de participer à notre groupe de travail. Mais les échanges personnels et les discussions théologiques au sein du groupe. ainsi que le discours du Président actuel de la République Fédérale l'occasion du 8 mai 1985 et notre rencontre avec le judaïsme américain à New York, au mois de mars 1986, on/ contribué l'éclosion d'un dialogue nouveau, purifié par la souffrance.
Au cours de ces trois dernières années, nous, chrétiens. avons de nouveau réalisé qu'il est proprement miraculeux qu'un iu1f puisse serrer la main tendue vers lui, après tant de souffrances et d'injustices infligées à son peuple. à ses parents et à ses amis. Même si beaucoup de juifs on/ tendu la main les premiers pour la réconciliation, d'autres aussi doivent apprendre à faire ce pas et à reconnaître que la réconciliation n'est pas une trahison envers les morts. Et nous d'autre part, les chrétiens, nous devons aussi apprendre que nous ne pouvons demander que la réconciliation et non pas le pardon, et que nous ne pouvons que demander. et non pas exagère. Si un juif ne se sent pas, ou pas encore en mesure de répondre positivement à notre demande, il n'y a aucune raison de le presser, pas même par une « simple attente» bien intentionnée. Ce manque de réciprocité, 11 nous faut l'assumer.
De toute façon, il est faux de croire que le temps guérit. La plupart des blessures ont beau se cicatriser, elles continuent à faire mal: mais la «Shoah (est) une blessure qui continue à saigner ».7 Ce n'est pas une raison cependant pour laisser passer le temps et ne rien faire, car plus on commence tard, plus il est difficile de comprendre la situation et d'en tirer les iustes conclusions.
Ces expériences nous ont fait comprendre qu'il fallait élargir notre texte de 1979, qu'il fallait reprendre la question, mise plus perticulièrement en évidence par les générations d'après-guerre, de la nature et du degré de notre responsabilité, et cela pour qu'il y ait une base de rencontre entre catholiques et juifs allemands. Plus de quarante ans après la fin de la deuxième guerre mondiale, nous devons encore travailler aux bases de notre rencontre et apprendre à nous poser ensemble la question: u Comment parler de faute, de souffrance et de réconciliation?».
C'est pour cela que le groupe de travail « Juifs et Chrétiens au sein du Comité central des catholiques allemands a élaboré. 50 ans après la nuit des pogroms, cette réflexion théologique intitulée «50 ans après: comment parler de faute, de souffrance et de réconciliation?».
Juifs et chrétiens affrontent une même question
Juifs et chrétiens, nous nous reconnaissons un témoignage commun, fondé sur l'appel de Dieu. nous sommes « les dépositaires et les témoins d'une éthique marquée par les dix commandements, dans l'observance desquels l'homme trouve sa vérité et sa liberté »." Ce témoignage est important pour l'avenir du monde, c'est pourquoi nous avons une responsabilité commune. «Promouvoir une réflexion commune et une collaboration sur ce point est un des grands devoirs d'aujourd'hui n.' Cependant, le poids du passé est tordeurs là, présent, quand nous cherchons à assumer nos tâches pour l'avenir. Nous ne pouvons °cuvier pour l'avenir et, en même temps, ignorer le passé. Ce qui est arrivé dans le passé est, en effet, la base d'où nous devoir partir: «Celui qui terme les yeux sur le passé sera aveugle pour le présent »
Et lorsque les chrétiens, et notamment des chrétiens allemands, veulent discuter rie l'avenir avec des juifs, ils éveillent — souvent inconsciemment et involontairement — chez leurs interlocuteurs le soupcon qu'il s'agit avant tout pour eux de mettre un point final sur le passé. de se « décharger » d'un fardeau, et non pas de se rapprocher du peuple luit, dans un esprit de conversion, par la solidarité, la compréhension et la sollicitude: et c'est pour cela. précisément, que le poids du passé continue à peser sur nous, sans être exprimé et, par là même, d'autant plus paralysant. Aussi longtemps que le passé est exclu, il n'y a qu'aliénation et non pas réconciliation. Malheureusement, la malédiction qui s'attache au mal vient aussi, pour une part. du fait que celui qui a souffert l'injustice est souvent perçu comme un reproche permanent (et contesté). La décision de ne pas fermer les yeux devant le passé doit jaillir sincèrement de notre propre coeur: elle doit venir de notre propre exigence. « sincérité de notre désir de rénovation dépend aussi de la reconnaissance de la faute et de la disposition à nous laisser douloureusement instruire par l'histoire de la faute de notre pays et aussi de notre Eglise »JI Nous devons travailler à en devenir capables.
Le refus de se laisser instruire par l'histoire de la faute, comme celui de se sentir concerné. est l'expression d'un refoulement. car à aucun d'entre nous il n est possible de ne pas être concerné. Nous ne sommes que trop « empêtrés » dans la faute et la Boutiranco, avec toutes leurs conséquences. Nous devons !aire face à ce passé coupable en désignant concrètement la faute; sinon de danger est grand de nous dissimuler derrière une reconnaissance générale et anonyme.
Il y a, en vérité, faute et faute: il y a celle qu'on découvre et celle qu'on dissimule, celle qu'on reconnait et celle que l'on nie. Il y a la faute d'avoir fait le mal, et celle de ne pas avoir fait le bien; la faute d'avoir commis un acte inhuma in, et celle d'avoir refusé un acte d'humanité. LI y a l'aide apportée et l'aide refusée, le fait de crier avec les opprimés ou de se taire.
Mais la souffrance, tout comme la faute, qu'elle soit physique ou morale, a des aspects divers: Il y a la souffrance de ceux qui n'ont pu échapper et la souffrance de ceux qui ont laissé quelqu'un derrière eux la sourfranco de ceux qui ont dû assister, impuissants, et la compassion de ceux qui ne sont nés qu'après ces événements. Il y a aussi la souffrance de ceux qui se reconnaissent coupables et désirent le pardon et la réconciliation, et celle de ceux qui aimeraient pardonner, mais ne le peuvent pas.
Se laisser instruire par un passé coupable, cela signifie accepter et porter le deuil. Nous partageons un même deuil pour ce qui nous est arrivé, pour notre faute et notre souffrance. Nous portons le deuil des hommes assassinés et des communautés exterminées, de la culture 'ulve anéantie en Allemagne et en Europe, et de la foi en l'humanité qui- nous a été presque totalement ôtée, surtout à nous, les juifs.
Pour nous, chrétiens, ce qui nous accable surtout est de constater les ravages qu'a causés, entre nos communautés, la faute commise antérieurement contre les juifs Ils sont le fruit du mal et ils conduiront, si l'on ne réagit pas, à encore plus de mal. Les surmonter est la tâche de tous ceux qui, de diverses manières, sont concernés: ceux qui sont directement coupables, s'ils sont encore en vie; ceux qui ont vécu à cette époque et ressentent le tait d'avoir été impliqués dans ces terribles événements comme une lourde hypothèque, même s'ils n'ont pas personnellement commis de crimes: et ceux qui n'étalent alors pas encore nés ou n'étaient que des enfants et à qui on demande cependant d'assumer la responsabilité de ce qu'ils n'ont pas fait eux-mêmes." Car nous avons l'espoir qu'ils nous aideront, eux aussi,à abattre cette montagne d'aver- sion et d'inimitié qui s'est amoncelée entre nous.
Conversion et pénitence chez les juifs et les chrétiens
Notre groupe de travail se trouve donc continuellement confronté à la question suivante: « Comment est-il possible d'assumer devant Dieu la faute et la souffrance, au lieu de les refouler ou de faire une fixation?». Nous puisons dans notre foi l'espoir que cela sera possible. Car nous avons confiance en Dieu qui a le pouvoir de pardonner et de vaincre l'injustice, et qui ne se sontente pas d'exiger la conversion de l'homme, mais la lui offre. « Lorsque nous cherchons en tant que pécheurs notre salut auprès de Dieu, son appel à la conversion est déjà agissant en nous C'est la pénitence ... qui nous ouvre le chemin, à nous pécheurs. vers la joie et la liberté des enfants de Dieu ».13 Les échanges que nous avons eus ensemble sur la manière d'aborder la souffrance et la faute nous ont montré que ce que nous avons en commun ne se limite pas aux fondements bibliques: nous avons appris que les règles de la pénitence, telles qu'elles sont actuellement comprises dans nos traditions respectives, nous rapprochent aussi.
Nous avions cherché ce que nous pouvions dire ensemble. Nous avons découvert que des chrétiens pouvaient totalement approuver et partager ce que disent les juifs de la faute, de la souffrance et du pardon, sans que rien ne leur manque. Comme chrétiens, nous n'ignorons pas que nous ne pouvons faire pénitence et être renouvelés que par le Christ, et dans la communion avec Dieu qui nous est offerte en Lui. Néanmoins, nous ne connaissons pas d'autres modes ou d'autres mesures que les juifs en ce qui concerne le pardon, la réconciliation, la souffrance et le courage. Notre tâche n'était pas de discuter de divergences doctrinales. Ce que nous cherchons, c'est la réconciliation dans la rencontre. Aussi notre enracinement en Jésus Christ, au moment justement où nous réfléchissions sur la faute, la conversion et la réconciliation, ne nous a-t-il pas empêchés de percevoir combien, du fait de nos racines:nous étions unis à nos interlocuteurs luits dans un accord profond sur le sujet. Nous estimons que cet accord peut être un pont solide pour une rencontre véritable. Nous espérons pouvoir ainsi apporter notre contribution à cette dimension du dialogue que le Pape a désignée comme la plus importante.14
Cet accord nous a amenés, cependant, à aller plus loin dans la réflexion sur nos « Rituels de la pénitence » individuelle, étant donné la dimension historique et sociale que la faute et la souffrance ont prise au temps de la dictature hitlérienne. Car c'est, justement, le fait que nos diverses traditions religieuses s'accordent profondément dans la foi en un Dieu venant à la rencontre de l'humanité qui e été, et est pour nous, une source de force et d'espérance. Seul ce premier pas de Dieu rend la conversion possible, une conversion qui est plus qu'un idéal chimérique et qui exige de l'homme qu'il s'engage de toutes ses forces à atteindre réellement ce but.
Ayant acquis ainsi la conviction que certains éléments et principes essentiels de nos diverses traditions nous permettent de savoir ce qu'il faut faire et ce dont il faut témoigner, nous allons essayer ci-dessous de poser les jalons d'une réconciliation entre juifs et chrétiens, à partir du Rituel catholique de la pénitence 1' et du livre des « Lois de la conversion » juives (Hilkhot T'schuva),'" qui sont l'un et l'autre le fruit de l'interprétation du message biblique propre à chacune de nos traditions.
L'enseignement traditionnel et la nouvelle dimension de la question
Le Rituel de la pénitence et le Hilkhot T'schuva ont pour but d'aider l'homme à reconnaître le mal commis, assumer sa faute et à vaincre ce qui l'éloigne de Dieu. Il s'agit donc maintenant de découvrir, dans nos diverses traditions, les éléments et principes essentiels qui sont riches de valeur et de sens pour nous dans la problématique actuelle.
Nos doctrines théologiques sont cependant dépassées par le caractère unique de l'événement de la Shoah. Nos concepts théologiques habituels sont Inadéquats dans un tel contexte à cause, d'une part, de ce que l'événement a d'inimaginable et, d'autre part, parce qu'il ne s'agit pas seulement de la faute d'un individu vis-à-vis de sa communauté, mais bien plutôt de l'inimitié qui s'est développée entre les communautés. Le Rituel de la pénitence et le Hilkhot T'schuva se concentrent plutôt sur la faute personnelle de l'individu. On dit, à juste titre, que la faute w comme l'innocence, n'est pas collective mais personnelle »,17 mais les actes mauvais des individus laissent souvent des traces profondes dans la vie des communautés dont ils sont membres et au nom desquelles ils agissent. Nous ne pouvons pas reconnaître, d'une part, notre appartenance à une communauté et refuser, d'autre part, de nous reconnaître coresponsables de ce qu'on a fait, ou omis de faire, au nom de la communauté, en nous proclamant innocents.
Pécher contre son prochain est aussi pécher contre Dieu et s'éloigner de Lui. On ne peut donc revenir à Dieu sans revenir au prochain qui a été offensé, lésé ou déshonoré. Car « si les péchés de l'homme contre Dieu sont expiés par le Four de l'Expiation, le jour de l'Expiation n'efface pas les pêchés de l'homme contre son prochain, tant qu'il n'a pas obtenu son pardon »;1" et l'enseignement de Jésus est le même: a Lors donc que tu présentes ton offrande à l'autel, si tu te rappelles que ton frère a quelque chose contre loi, laisse là ton offrande devant l'autel, et va d'abord te réconcilier avec ton frère: alors seulement, tu viendras présenter ton offrande»?
Mais le pécheur pèche aussi contre la communauté dont il lait partie et s'en éloigne. Si « le péché par lequel l'individu pèche contre Dieu est aussi une faute contre la communauté de l'Eglise qui en souffre s2" cela ne concerne pas seulement les péchés contre Dieu au sens propre, car les fautes envers le prochain sont aussi des péchés contre Dieu. La réintégration complète doit donner au converti la confiance qu'il est aussi tle nouveau accueilli par Dieu. Cela est vrai d'abord pour le pécheur individuel accueilli de nouveau par sa communauté. Nous sommes, cependant, confrontés au péché d'une communauté contre une autre dont rune, la juive, commençait juste à espérer qu'après les persécutions et les marques de mépris du passé, elle serait wilm respectée et. peu à peu, acceptée. C'est dans le contexte de cet antagonisme d'une communauté contre une autre que se situent les injustices des uns contre les autres. Aussi, « que nous soyons coupables ou non, vieux ou leunes. nous devons tous assumer le passé ... dont les conséquences nous concernent et dont nous sommes tenus pour responsables ».
Surmonter le mal dans une communauté nécessite donc non seulement la conscience de la a honte col- lective »." mais aussi la disposition a accepter la a res- ponsabilité u à porter avec les autres le poids qui pose sur la communauté. Il est dit aussi. «Souvent les hommes font le mal ensemble. Mais ils s'entraident aussi quand ils font pénitence u u Chacun est affecté, positivement et négativement, par le comportement et les actes de sa communauté. Cela est vrai non seule- ment pour la génération «des événements d'alors», mais aussi pour tous ceux dont l'histoire comporte cet événe- ment de la Shoah. C'est pourquoi nous parlons tous en tant que personnes affectées et concernées: nous ne pouvons et ne devons parler qu'en celte qualité, et nous le faisons dans cette espérance que « la pénitence conduit tomours aussi à la réconciliation avec les frères qui ont été blessés par le péché s."
Avant la réconciliation parfaite avec Dieu et le retour à Lui, est requis le pardon de celui contre lequel on a péché — mais pas avant que n'ait commencé le pro- cossus de réconciliation qui, à son tour. est une cons rien du pardon. Il n'y a pas de conversion à Dieu sans retour de tout son coeur vers celui contre lequel on a pêché. C'est à lui qu'il faut demander pardon, mais nous ne pouvons pas l'exiger. Le grand problème est que, en ce qui concerne les manquements envers des individus, nous ne pouvons pardonner que ce qui nous a été infligé, et dans la mesure où cela nous a affecté; et que, inversement, nous ne pouvons vraiment demander pardon que pour les actions et• omissions dont nous sommes coupables, et dans la mesure où nous le Sommes.
Un être humain ne peut Pardonner que la faute et la souffrance dont fl a été affecté: et de même, l'individu ne peut demander pardon que pour les fautes qu'il a commises. Cela est particulièrement important dans la situation qui est la nôtre. et dont le président Herzog disait avec raison• «Seuls les morts ont le droit de pardonner. et II n'est pas permis aux vivants d'oublier ».
Ce n'est pas un refus du devoir de se réconcilier et un manque de disponibilité à le faire, mais plutôt le signe de beaucoup de conscience et de maturité: les survivants et les descendants de ceux qui ont été massacrés à Auschwitz n'ont pas le droit de parler au nom des morts. La phrase de Martin Buber: e Que suis-je pour prétendre pardonner ici? » 21 exprime non pas un désir de vengeance ou une impossibilité a accepter la réconciliation, mais un profond respect pour les morts: non pas le refus du pardon, mais le rejet de ce qui serait une prétention. Ce témoignage d'un juif peut amener les chrétiens à une nouvelle réflexion sur leur tacon de comprendre le pardon. Quelque utiles que puissent être, pour la réconciliation entre juifs et chrétiens. la doctrine traditionnelle de la conversion et de la pénitence, nous sommes amenés à constater qu'une réflexion théologique plus profonde et renouvelée est à faire sur les comportements traditionnels si nous voulons. par l'application d'une telle doctrine, surmonter l'injustice dont une communauté, dans son ensemble, doit prendre la responsabilité vis-à-vis d'une autre communauté qui. dans son ensemble, a été victime de cette Injustice.
Les pas de la conversion
Les étapes de la réconciliation avec Dieu sont; le repentir, la reconnaissance de la faute et de la responsabilité, l'effort pour réparer, la demande de pardon et de réconciliation à la personne à qui le tort a été causé. «Il faut l'apaiser et lui demander instamment de pardonner mais l'homme ne doit pas être dur et refuser de se laisser apaiser .. Lorsqu'on est prié de pardonner, il faut accorder le pardon de tout coeur et volontiers »,n Demander et accorder le pardon doit se faire sincèrement, « de tout coeur ». Nous tous, juifs et chrétiens, devons travailler sur nous-mêmes pour en devenir capables. Un « pardon » trop rapide, trop facile et dans le fond peu sincère ne conduit pas â la réconciliation, mais à un refoulement dont tous les intéressés auront à souffrir. Mais avant tout, dans nos relations interpersonnelles, il est juste de dire: « Nul ne peut parler à la place de Dieu, ni à la place des autres. Cela fait partie de l'expérience de tout juif, on presque. en Allemagne que des gens soient venus, en grand nombre, lui demander pardon. Que peut-il dire? Lui est-il permis de parler pour les six millions de morts? Peut-il parler pour les tziganes, les homosexuels? Peut-il même parler au nom du judaïsme, du peuple juif dispersé dans le monde entier et dire. cela t'est maintenant pardonné?
Non«»d2u5i donc sera coupable en l'un de ces cas aura à confesser le péché commis ».'m Avant la demande de pardon, il doit y avoir la reconnaissance de la faute, non seulement du bout des lèvres, mais comme un aveu articulé. « Il faut confesser verbalement ses pé- chés et donner une expression à ce qu'on a décidé dans son coeur »;"f car a par la confession l'homme avoue son passé pécheur, il en prend la responsabilité»? Cependant, même si « la confession de la faute... a bien sur le plan humain un effet de libération et de réconciliation ... et si. en même temps, (celui qui avoue son péché) s'ouvre de nouveau à Dieu et à la communauté de l'Eglise pour marcher vers un avenir nouveau »X, l'acceptation passive de la faute ne permet pas le processus d'intégration et la réconciliation. Il faut plutôt se mettre activement à approfondir le passé, à rechercher les causes, non pour se justifier. mais pour découvrir la vérité, et consentir à confesser de nouveau, à la lumière des connaissance nouvelles, sa propre faute sinon celle des générations précédentes. tin travail doit se faire sur notre faute (comme sur notre souffrance et sur nos deuils), et cela implique d'abord la recherche patiente de tout ce qui a pu nous amener à une telle situation.
Après m'être détourné, je me suis repenti...cm L'homme se trouve modifie par sa conversion à Dieu; car [I ne peut se « détourner » qu'a condition de se rendre compte de son éloignement de Dieu et de la jaute qui en est la cause. La conversion mène au repentir, et le repentir à la conversion, et par ce pro- cessus de réconciliatJon mutuelle nous nous approchons a nouveau de Dieu. Nous pouvons et nous devons nous appuyer sur la volonté de réconciliation qui est en Dieu; mais Parce que, Justement, nous mettons on Dieu notre espoir d'une réconciliation parfaite, le processus de réconciliation ne peut jamais être achevé pour nous La réconciliation ne peut devenir une « propriété » dont nous puissions disposer. Plus nous faisons l'expérience du don de la réconciliation, plus nous comprenons pro- fondément que nous n'y avons pas droit. C'est vrai de la réconciliation avec Dieu comme de celle avec le prochain. Parce que le chemin de la conversion est marque par la dépendance mutuelle, nous pouvons, cer- tes, vivre la réconciliation en un heu précis et à un moment déterminé: mais nous devons en même temps continuer à la demander et nous engager pour elle. De là vient aussi que ce processus de conversion n'est pas possible si on ne le recherche qu'en vue de se faire absoudre d'une culpabilité accablante.
Le retour à Dieu est lié à notre attitude vis-à-vis des personnes qui ont été lésées. L'effort fait pour réparer ne doit pas être une obligation dont on désire se débarrasser comme d'un fardeau désagréable doit venir du repentir; il ne peut être seulement un moyen d'obtenir le pardon, le pardon ne le rend pas inutile et il n'est pas limité dans le temps. La réparation est intimement liée au processus de la pénitence, elle en est la « réalisation concrète r.jc — et si 'on ne peut pas « réparer » par des moyens humains, on peut du moins « apaiser » dans le présent et u mieux faire » dans l'avenir, afin de se liberer de « la malédiction attachée à l'acte mauvais ».
Le pardon et la réconciliation entre hommes sont donc dans un rapport de réciprocité avec celle entre les hommes et Dieu. Ils supposent la disposition intérieure à se rapprocher les uns des autres et à essayer, par là même, d'imiter l'exemple divin.
De part et d'autre, il faut se rapprocher, se retrouver. Pour cela nous. juifs, devons reprendre confiance en nos frères humains qui sont chrétiens. Rendre cela possible fait partie de la réparation, comme c'est une partie de la faute d'avoir privé de cette confiance beaucoup d'entre nous; car « I—Holocauste" ... a presque anéanti la conscience d'une humanité commune entre juifs et non-juifs ». Les juifs, et pas seulement les chrétiens, doivent apprendre aussi à tendre la main à l'autre et a serrer les mains timidement tendues: car la réconciliation «entre iuifs et non-juifs est pour le peuple juif une nécessité spirituelle vitale « Deux peuples, chacun ayant son destin, ne peuvent en effet à la longue se tourner le dos et passer sans se rencontrer. Si cette paix était envisagée et préparée et si, Dieu aidant, elle était conclue de bonne foi, ce qui veut dire aussi sans que rien ne soit oublié, cela pourratj avoir du sens pour l'humanité ».
«... Il y a des violations de la loi que l'on expie immédiatement et il y en a d'autres qu'on ne peut expier qu'après un certain temps ..».J0 Le temps nécessaire à la réconciliation ne dépend pas seulement de la sincérité et de l'instance de celui qui la demande, ni de la disponibilité et de l'aptitude à la réaliser de la part de celui qui doit pardonner, mais encore de la nature et de l'importance de la faute. «L'acte de pénitence et la mesure dans laquelle il faut réparer doivent être adaptés à chaque personne, de manière à ce qu'elle rétablisse l'ordre là ou elle l'a troublé, et qu'elle reçoive le remède approprié a sa maladie
Ce que nous devons faire
Ni le temps ni l'oubli no guérissent nos plaies. Ce n'est pas en nous taisant que nous nous rapprochons La faute de l'un et la peine de l'autre reviennent alors continuellement, comme ce qui est refoulé et n'est pas assumé. «Il (ne peut) y avoir de réconciliation sans mémoire»?' Mais il ne suffit pas de ne pas oublier la faute, il faut aussi en tirer les conséquences. Finalement, malgré la chute du régime criminel nazi, le danger de récidive (quel qu'en soit le lieu ou l'agent) demeure. Les profondeurs d'où a jailli le péché sont toujours là. C'est pourquoi il convient d'être particulièrement attentif et sensible en ce domaine.
L'ordre de se souvenir et de ne pas oublier n'est nullement une invitation à l'hostilité. De même, être prêt à pardonner sincèrement et a Se réconcilier, ce n'est pas trahir le souvenir de ceux qui ont été massacrés. Cependant, comme le mal fait aux morts ne peut être réparé par l'homme, cette souffrance humaine ne peut être soumise à un processus « naturel » d'oubli. « Oublier serait trahir- Si nous avions survécu pour trahir les morts, il &Ut mieux valu ne pas survivre .
Nos plaies ne peuvent guérir que si le premier pas que nous faisons les uns vers les autres est suivi de beaucoup d'autres, ceux que nous ferons ensemble pour « travailler » notre deuil et notre réparation, et ceux que, une fois réconciliés, nous ferons vers l'avenir. La guérison n'est possible que si nous attendons ensemble le Royaume de Dieu, si nous travaillons ensemble à son instauration et «servons le Seigneur côte à côte » . Cette volonté est en même temps un signe d'espérance et de confiance, et l'expression de notre confiance en un Dieu qui pardonne et qui peut aussi réparer la faute du passé. Mais la réconciliation avec Dieu n'est pas telle que les membres d'une communauté puissent la mener à terme. Aussi les être humains que nous sommes ne peuvent-ils porter de jugement définitif, tout comme le désir de mettre un point final empêche que s'établissent des relations vraiment confiantes.
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