Discours du pape aux juifs à Miami

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John Paul II, Pope (Wojtyla, Karol) 1920-2005

Stati Uniti d'America       11/09/1987

Chers amis, représentants de tant d'organisations juives,
rassemblés ici de tous les Etats-Unis,
mes chers frères et soeurs juifs!

1. Je vous suis très reconnaissant de vos bienveillantes paroles d'accueil. Je suis vraiment heureux d'être avec vous, spécialement au moment où débute aux Etats-Unis la présentation itinérante de la Collection judaïque du Vatican. Ces documents admirables, qui comprennent des Bibles enluminées et des livres de prières, ne font apparaitre qu'une petite partie des immenses ressources spirituelles de la tradition juive à travers les siècles et jusqu'à aujourd'hui — ressources spirituelles souvent utilisées dans une coopération fructueuse avec des artistes chrétiens.

Il est bon, au début de notre rencontre, de redire avec force notre foi dans le Dieu unique qui choisit Abraham. Isaac et Jacob, et contracta avec eux une alliance d'amour éternel qui n'a jamais été révoquée (cf. Gn 27, 13: Rm 11, 29). Elle a bien plutôt été confirmée par le don de la Torah à Moïse, ouverte par les prophètes à l'espérance de la rédemption éternelle et à l'engagement universel pour la justice et la paix. Le peuple juif, l'Eglise et tous ceux qui croient au Dieu miséricordieux — qui est invoqué dans les prières luives comme Av ha-Rahamim — peuvent trouver dans cette alliance fondamentale avec les patriarches un très solide point de départ pour notre dialogue et notre témoignage commun dans le monde.

Il est bon aussi de rappeler la promesse de Dieu à Abraham et la fraternité spirituelle qu'elle établit: «Par tes descendants se béniront toutes les nations de la terre, parce que tu m'as obéi. » (On 22, 18). Cette fraternité spirituelle, liée à l'obéissance de Dieu, requiert un grand respect mutuel, dans l'humilité et la confiance. Une considération objective de nos relations au long des siècles doit tenir compte de cette nécessité primordiale.

2. Il est à noter que les Etats-Unis ont été fondés par des hommes qui en abordaient les rivages souvent en tant que réfugiés religieux. Ils aspiraient à être traités justement et à recevoir l'hospitalité, selon la parole de Dieu que nous lisons au Lévitique: «L'étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un compatriote; tu Palmeras comme toi-même, car vous aussi avez été étrangers au pays d'Egypte. Je suis le Seigneur votre Dieu.» (Lv 19, 34.)

Parmi ces millions d'immigrants il y avait un nombre important de catholiques et de juifs. De fait, les principes religieux fondamentaux de liberté et de justice, d'égalité et de solidarité morale, affirmés dans la Torah comme dans l'Evangile, se reflètent dans les nobles idéaux humains et dans la protection des droits universels existant aux Etats-Unis. Ces derniers ont à leur tour exercé une puissante influence positive sur l'histoire de l'Europe et d'autres parties du monde.

Mais les chemins des immigrants sur leur nouvelle terre n'ont pas toujours été faciles. L'intolérance et la discrimination étaient malheureusement conuues dans le Nouveau Monde comme dans l'Ancien. Néanmoins, ensemble, juifs et catholiques, ont contribué au succès de l'expérience américaine de la liberté religieuse et, dans ce contexte unique, ils ont donné au monde une forme vigoureuse de dialogue interreligieux entre nos deux anciennes traditions. Je prie pour ceux qui sont engagés dans ce dialogue, si important pour l'Eglise et pour le peuple juif: Que Dieu vous bénisse et vous rende forts pour son service!

3. En même temps, notre héritage commun, notre tâche et notre espérance n'éliminent pas nos identités respectives. En raison de son témoignage chrétien spécifique, « l'Eglise doit proclamer Jésus-Christ au mon-den (Commission romaine pour les relations avec le judaïsme. Orientations et Suggestions pour la mise en oeuvre de « Nostra Aetate ).>. 1).

Ce faisant, nous proclamons que « le Christ est notre paix » (En 2, 14). Et l'apôtre Paul dit: « Tout vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec lui par le Christ et nous a confié le ministère de la réconciliation.» (2 Co 5, 18). En même temps, nous reconnaissons et estimons les trésors spirituels du peuple juif et le témoignage religieux qu'il rend à Dieu. Un dialogue théologique fraternel cherchera à comprendre, à la lumière du mystère de la rédemption, comment des différences dans la foi ne doivent pas entraîner l'inimitié mais ouvrir le chemin de la « réconciliation», afin que, au terme, « Dieu soit tout en tous » (1 Co 15, 28).

Je suis heureux, à cet égard, que la Conférence nationale des évêques catholiques et le Synagogue Council of America aient entrepris entre dirigeants juifs et évêques une consultation, qui doit faire avancer un dialogue dont les résultats sont de la plus grande importance pour le deux communautés de foi.

4. Considérant l'histoire à la lumière des principes de la foi en Dieu, nous devons aussi réfléchir sur l'événement catastrophique de la Shoah, cette tentative impitoyable et inhumaine pour exterminer le peuple juif en Europe, tentative qui aboutit à des mi/lions de vieil- mes — y compris des femmes et des enfants, des vieil- lards et des malades — exterminées seulement Parce qu'elles étaient juives.

En considérant ce mystère de la souffrance des en- tants d'Israël, leur témoignage d'espérance, de foi et d'humanité sous les outrages déshumanisants, l'Enlise fait l'expérience toujours plus profonde de son lien avec le peuple juif et avec le trésor de ses richesses spiri- tuelles, d'hier et d'aujourd’hui.

Il est juste aussi de rappeler les efforts énergiques et sans équivoque des papes contre l'antisémitisme et le nazisme au plus fort de la persécution contre les juifs.

Remontons à 1938: Pie XI déclarait que n l'antisémitisme ne peut être accepté» (6 septembre 1938), et il déclarait en outre l'opposition totale entre le christianisme et le nazisme en affirmant que la croix nazie était une « ennemie de la croix du Christ » (allocution de Noël 1938). Et je suis convaincu que l'histoire révélera d'une manière de plus en plus évidente et convaincante combien Pie XII ressentait profondément la tragédie du peuple juif et avec quel effort soutenu il oeuvra pour lui venir en aide efficacement pendant la Seconde Guerre mondiale

La Conférence des évêques des Etats-Unis, parlant au nom de l'humanité et des principes chrétiens, dénonça les atrocités dans un communiqué très clair: « Depuis l'attaque meurtrière de la Pologne, totalement dépourvue de la modre apparence d'humanité, a eu lieu une extermination Préméditée et systématique du peuple de cette nation. La même technique satanique est en train d'être appliquée à beaucoup d'autres si on Nous éprouvons un profond sentiment de répulsion pour les cruelles atteintes à la dignité accumulées con- tre les iuifs dans les pays conquis et contre des gens sans défense qui n'ont pas notre foi.» (14 novembre 1942)

Nous nous souvenons aussi de beaucoup d'autres qui, au risque de leur propre vie, aidèrent les juifs persécutés et sont honorés par les juifs au titre de Tzaddik 'ummot ha-"olam (Juste des nations).

5. La terrible tragédie de votre peuple a amené de nombreux penseurs juifs à réfléchir sur la condition humaine avec une acuité Intense. Leur vision de nomme et les racines bibliques de cette vision — que nous partageons dans notre héritage commun des Ecritures hébraïques — offrent aux savants juifs et catholiques un matériau essentiel pour réfléchir et dialoguer. Et je pense ici avant tout à la contribution de Martin Buber et à celle de Levinas.

Afin d'avoir une compréhension toujours plus profonde de la signification de la Shoah et des racines historiques de l'antisémitisme qui lui sont liées, il faut que juifs et catholiques poursuivent ensemble leur collaboration et leurs études sur la Shoah. De telles études ont déjà leur place dans de nombreux colloques tenus dans votre pays, comme les groupes de travail nationaux sur les relations judéo-chrétiennes. Les implications religieuses et historiques de la Shoah pour les chrétiens et les juifs seront abordées maintenant en discussion formelle par le Comité international de liaison catholique-juif, qui se réunira plus tard dans l'année, pour la première fois aux Etats-Unis. En outre, comme cela a été affirmé au cours de la rencontre importante et très cordiale que j'ai eue avec les dirigeants juifs à Castelgandolfo, le 1er septembre, un document catholique sur la Shoah et l'antisémitisme est en preparation. résultant de telles études sérieuses.

Parallèlement, il faut souhaiter que des programmes communs d'enseignement de nos relations historiques et religieuses — qui sont très développées dans votre pays — favorisent en vérité le progrès dans le respect mutuel et instruisent les générations futures sur l'Holocauste de tacon à ce que, lamais plus, une telle horreur ne soit possible. Jamais plus!

En rencontrant les dirigeants de la communauté juive polonaise, en juin de cette année, rai souligné le fait que, à travers la terrible expérience de la Shoah, votre peuple était devenu n un grand cri d'avertissement pour toute l'humanité, pour toutes les nations, pour toutes les puissances de ce monde, pour tout système et tout individu... Un avertissement de salut » (Allocution du 14 juin 1987).

6. Il est aussi souhaitable que, dans chaque diocèse, les catholiques mettent en oeuvre, sous la direction des évêques, les déclarations du Concile Vatican II et les instructions ultérieures données par le Saint-Siège pour une correcte présentation des juifs et du judaïsme dans la prédication et la catéchèse. Je sais que de grands et nombreux efforts ont déjà été fournis dans ce sens par les catholiques, et je veux exprimer ma gratitude à tous ceux qui ont travaillé avec tant de zèle dans ce but.

7. Pour tout dialogue sincère, il est fondamental que l'intention de chaque partenaire soit de permettre aux autres de se définir eux-mêmes «à la lumière de leur propre expérience religieuse» (Orientations. Introduction, 1974).

Fidèles à cette affirmation, les catholiques reconnaissent, parmi les éléments de l'expérience juive, l'attachement religieux des luis à leur terre, qui a ses racines dans la tradition biblique.
Le peuple juif a entamé une nouvelle pédale de son histoire après la tragique extermination de la Shoah. Il a droit à une patrie, comme toute nation souveraine, selon le droit international. «Sur le peuple juif qui vit dans l'Etat d'Israël et qui, sur cette terre, conserve des témoignages précieux de son histoire et de sa foi, nous devons invoquer la sécurité désirée et la juste tranquillité, qui est la prérogative de toute nation et la condition de vie et de progrès pour toute société». (Jean-Paul II, Lettre apostolique sur Jérusalem Redemptoris anno. 20 avril 1984).

Ce qui vient d'être dit à propos du droit à la patrie s'applique aussi au peuple palestinien, dont tant de membres restent réfugiés et sans toit. Si tous ceux qui sont concernés doivent réfléchir honnêtement sur le passé — les musulmans non moins que les juifs et les chrétiens — il est aussi temps de bâtir des solutions qui conduiront à une paix juste, complète et durable dans cette région du monde. Je prie avec ferveur pour cette paix.

8. Pour terminer, en vous remerciant encore une fois pour la chaleur de votre accueil, je rends louange et grâce au Seigneur pour cette rencontre fraternelle, pour le don du dialogue entre nos peuples, et cette compréhension nouvelle et plus profonde entre nous. Tandis que l'histoire de notre longue relation s'achemine vers son troisième millénaire, notre grand privilège, en cette génération, est d'être témoins de ce progrès.

Je forme des souhaits sincères pour que, en tant que partenaires du dialogue, en tant que frères croyant au Dieu qui s'est révélé, en tant qu'enfants d'Abraham, nous nous efforcions de rendre un service commun à l'humanité, si nécessaire de nos jours. Nous sommes appelés à collaborer dans notre tâche et à nous unir pour une cause commune partout où un frère ou une soeur est isolé, oublié, abandonné, ou souffrant de quelque façon que ce soit; partout où les droits de l'homme sont en danger ou la dignité humaine blessée; partout où les droits de Dieu sont violés ou ignorés.

Avec le psalmiste, je répète maintenant: «Je veux entendre ce que dit Dieu, le Seigneur, car ce qu'il annonce c'est la paix pour son peuple et pour ses fidèles, pour ceux qui mettent en lui leur espérance » (Ps 85, 9).

A vous tous, chers amis, chers frères et soeurs; vous tous, chers juifs d'Amérique, avec une grande espérance, je vous souhaite la paix du Seigneur: Shalom! Shalom! Que Dieu vous bénisse en ce shabbat et au long de cette année: Shabbat simien?! ve-hatima lova!


Texte traduit de l'anglais paru dans la Doc. Cath. du 18.10.87

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Inserito 01/01/1970