Commission de représentants d'organisations de laïcs catholiques
Germania 29/04/1979
Une commission, composée de représentants d'organisations de laïcs catholiques d'Allemagne, a élaboré le document de travail ci-après sur les conditions, les enjeux et les possibilités du dialogue entre juifs et chrétiens. (Bad-Godesberg, 24 avril 1979.) Cette commission, à la tête de laquelle se trouve un Evêque modérateur, est officiellement reconnue par la hiérarchie. (*)I. Pourquoi rechercher le dialogue?
1. Juifs et chrétiens ont un terrain commun d'espérance: le Dieu d'Israël qui, dans sa grâce, se tourne vers l'humanité. Ensemble ils attendent la pleine réalisation de leur espérance: la définitive souveraineté de Dieu.
Juifs et chrétiens sont appelés à porter un témoignage commun: en raison de l'expérience qu'ils ont eue de Dieu et aussi du défi que leur lance le monde où ils vivent. Ce n'est pas seulement à eux — telle est leur croyance — mais à tous les peuples que l'appel a été lancé de trouver vie, refuge et paix dans la Jérusalem du Dieu qui vivifie (cf. Is 2, 1-5; Is 60). S'étant mis en route eux-mêmes vers cette Jérusalem comme vers le lieu de la justice et de la fidélité (cf. Is I, 26), ils ressentent l'obligation de transmettre à l'humanité tout entière la puissance libératrice de leur attachement au Dieu qui peut et veut accorder vie et avenir (cf. Jr 29,11). L'appel de Dieu les engage à travailler à construire le monde. Il fait d'eux des pionniers de l'espérance, et d'abord pour ceux qui n'ont pas d'espérance. En même temps, un tel appel est un jugement qui les empêche de se braquer sur des intérêts et des peurs uniquement terrestres. Bien au contraire, en suivant l'appel de Dieu, ils doivent devenir des gestionnaires honnêtes et courageux de la justice de Dieu, des porte-parole de sa miséricorde.
2. L'obligation d'engager le dialogue, qui vaut pour tous les temps, repose sur le fait que juifs et chrétiens sont liés par l'action même de Dieu, mais les douloureuses expériences de l'histoire récente viennent encore intensifier la tâche de renforcer et d'approfondir dans toute la mesure du possible un tel dialogue.
Tout au long de dix-neuf siècles, les relations entre le judaïsme et le christianisme se sont caractérisées par une division, dont les conséquences historiques ont été affreuses. C'est dans le contexte de cette histoire de division qu'il faut également replacer l'effrayant événement que constitue Auschwitz, tentative de la dictature hitlérienne pour détruire totalement le peuple juif.
Dans le judaïsme comme dans le christianisme, qui doivent l'un et l'autre leur existence à la Révélation du Dieu d'Israël, on assiste à un éveil progressif d'un intérêt « spirituel ». Juifs et chrétiens confessent cette commune Révélation précisément à travers cet intérêt. Il s'ensuit que l'intérêt qu'ils se portent les uns aux autres est en lui-même un acte d'adoration de Dieu.
Juifs et chrétiens doivent rendre un commun témoignage devant une humanité dont la survie, au plan humain, est en jeu, un témoignage concret qui indique et trace des voies concrètes de justice et de salut.
II. Les conditions d'un dialogue qui concerne le Juif en tant que Julf et le chrétien en tant que chrétien
Du fait que juifs et chrétiens transmettent un trésor commun d'écritures bibliques qui forme le fondement de leur vie, leur dialogue dispose d'une base de valeur inestimable. C'est la foi au Dieu qui sauve et sanctifie, au Dieu dont la Torah nous dit à quel point il fut proche des patriarches, au Dieu dont elle proclame les enseignements prégnants de vie.
C'est l'écoute du Dieu des vivants et des morts, dont les prophètes proclament la souveraineté au milieu du peuple qui a pris son nom. C'est l'attachement au Dieu à la fois proche et lointain, que célèbrent dans leurs prières les psalmistes, et dont ils chantent la fidélité, même lorsqu'il semble que tout soit perdu. C'est la confiance dans le Dieu créateur dont les proverbes et les méditations des sages nous rappellent la bonté. De tout cela juifs et chrétiens, chacun à sa manière, rendent témoignage dans leur culte et leur vie. Mais c'est précisément ici qu'apparaît, dans le dialogue entre juifs et chrétiens, une difficulté particulière: les Écritures qu'ils ont en commun fondent-elles réellement une communauté de vie? Pour répondre à cette question il importe de réfléchir à un certain nombre de questions fondamentales pour le dialogue judéo-chrétien:
a) Il ne fait aucun doute, pour commencer, que juifs et chrétiens devront oeuvrer très dur les uns pour les autres afin d'arriver à une meilleure compréhension mutuelle. L'image que les juifs se sont faite des chrétiens, l'image que les chrétiens se sont faite des juifs au cours des siècles et qu'ils continuent de se former aujourd'hui encore, doivent être examinées et rectifiées dans une rencontre où, faisant retour à la base commune et à la lumière de leur commune espérance, ils expliqueront les uns aux autres leur voie propre. Ici tout particulièrement, il ne faut pas que l'un attende que l'autre vienne à lui pour l'« étudier ». Bien plutôt, on ressentira l'obligation de partager ce qui est propre à chacun. A l'inverse, en raison d'une commune espérance, on se mettra dans l'active disposition d'écouter l'autre. En exposant mutuellement leurs points de vue, en se faisant confiance et en se révélant les uns aux autres, chrétiens et juifs peuvent apporter le témoignage auquel, ils le savent, Dieu les a appelés.
b) Un dialogue judéo-chrétien ne saurait aboutir si le chrétien ne voit dans le judaïsme que le mémorial de son propre passé, du temps de Jésus et des apôtres. Mais le dialogue n'aboutira pas davantage si le partenaire juif ne peut découvrir, dans les éléments juifs essentiels contenus dans la foi chrétienne, que les effets d'une situation passée, qui existait certes dans les premières communautés chrétiennes, mais a disparu aujourd'hui. Dans l'un et l'autre cas, le partenaire du dialogue ne prend pas encore au sérieux la « contemporanéité » de l'autre, mais fait de lui le reflet de son propre passé. Bien au contraire, la « contemporanéité » est la condition de tout dialogue. Le partenaire juif ne peut s'estimer satisfait lorsque, dans le dialogue avec le chrétien, il est uniquement considéré comme un témoin survivant de ce qu'on appelle l'ancien Testament ou de la période primitive des communautés chrétiennes.
A l'inverse, le partenaire chrétien ne peut s'estimer satisfait lorsque le partenaire juif croit que lui seul peut apporter quelque chose d'essentiel à la foi chrétienne, alors que ce que le chrétien pourrait dire au juif ne revêt aucune signification essentielle pour la foi juive.
L'expérience oecuménique du dialogue entre chrétiens est de bon augure également pour le dialogue entre chrétiens et juifs: là aussi, les deux partenaires ont appris à être aptes et disponibles à écouter la parole de Dieu, comme un témoignage qui concerne celui qui écoute, dans sa relation à Dieu.
c) L'histoire, qui rend plus difficile la rencontre actuelle des juifs et des chrétiens, peut aussi aplanir la route qui les conduit les uns vers les autres, dans la mesure même où cette histoire est expérimentée et reconnue — ne serait-ce, au début, que partiellement —comme une histoire vraiment commune qui nous concerne réellement aujourd'hui.
Lorsque, dans une des prières de la Veillée pascale, le chrétien demande que a la dignité d'Israël » soit accordée à tous les peuples, il ne peut oublier le fait — tout au plus peut-il le refouler, à son grand dommage — que l'Israël dont il parle a continué d'exister jusqu'à ce jour, un Israël qui, jusqu'à ce jour, est resté le porteur de la « dignité d'Israël ». L'Église chrétienne, qui se donne le nom de « peuple de Dieu », ne doit pas oublier que l'existence actuelle du judaïsme témoigne que, aujourd'hui encore, le même Dieu est engagé, dans la fidélité, envers l'élection par laquelle il devint le Dieu d'Israël et fit d'Israël son peuple. C'est la raison pour laquelle le chrétien ne comprend pas adéquatement sa propre dignité et sa propre élection s'il n'apprend pas à connaître ou ne cherche pas à comprendre la dignité et l'élection du judaïsme aujourd'hui. Mais, pour ce faire, ll a besoin de se familiariser avec la foi et l'existence juives, à travers le témoignage qu'en donne son partenaire juif.
Lorsque le juif, à bon droit, s'appelle « fils d'Abraham », il ne peut oublier le fait — tout au plus peut-il le refouler — que non seulement les premiers chrétiens dans le lointain passé ont été des fils d'Abraham, mais que, aujourd'hui encore, personne ne peut être chrétien sans reconnaître Abraham comme « le père de tous les croyants ».
De plus, la communauté juive est consciente de la promesse d'un renouvellement de son alliance: « Des jours viennent — oracle du Seigneur — où je concluerai avec la communauté d'Israël et la communauté de Juda —une nouvelle alliance. Elle sera différente de l'alliance que j'ai conclue avec leurs pères quand je les ai pris par la main pour les faire sortir du pays d'Égypte (Jr 31, 31).
La communauté juive ne doit donc pas oublier qu'il n'y aurait pas eu de communauté chrétienne si les chrétiens n'avaient pas connu l'appel du même Dieu à entrer dans sa « nouvelle alliance ». C'est la raison pour laquelle le juif ne comprend pas totalement la manière dont Abraham est devenu le « père d'une multitude de nations» (Gu 17) s'il n'apprend pas à connaître, ou s'il ne cherche pas à comprendre la foi du chrétien d'aujourd'hui. Mais, pour ce faire, il a besoin de se familiariser avec la foi et l'existence chrétiennes à travers le témoignage qu'en donnent ses partenaires chrétiens dans le dialogue.
d) Dès lors que la signification de ce qui les lie dans l'histoire a pénétré dans leur conscience et a été reconnu, il y a une chance pour que les partenaires du dialogue se reconnaissent comme appelés à une responsabilité des uns vis-à-vis des autres. Chacun devient pour l'autre le témoin des grandes action de Dieu qui font qu'il vit comme un juif ou un chrétien aujourd'hui. La vie qui vient de la foi, la vie qui jaillit du coeur de l'existence, la vie chrétienne aussi bien que juive tire son être du témoignage. Et partout où la vie d'une communauté devient un témoignage de l'action salvifique de Dieu, ce témoignage est pour l'autre croyant, qui vit des mêmes actions salvifiques de Dieu, quelque chose de précieux, d'irremplaçable même. Les croyants qui tirent leur vie de la même origine deviennent coupables les uns à l'égard des autres lorsqu'ils ne se donnent pas mutuellement ce témoignage.
III. Les thèmes centraux du dialogue
1. Compagnonnage des juifs et des chrétiens
Le but commun des juifs et des chrétiens — le règne salvifique de Dieu — leur permet de se parler à partir de leur foi réciproque. Les uns et les autres savent que Dieu s'est adressé à eux, ils veulent répondre dans l'amour à la volonté de Dieu — qui leur a été gracieusement octroyée par une élection divine — de tout leur coeur, de toute leur âme, de tout leur esprit, de toutes leurs forces. Un tel accord entre eux est important pour une commune action dans le monde. Mais ce qui est important aussi c'est d'évaluer non seulement le fait de cet accord, mais sa dimension même. Et cela d'autant plus qu'à l'endroit précis où notre consensus est le plus profond plonge la racine de nos désaccords.
Pour le chrétien, le plan divin du salut, promis dans la Bible d'Israël, se réalise à travers la médiation du juif Jésus. Ici déjà apparaît non seulement la fonction de séparation mais la fonction d'union de Jésus: par le juif Jésus, la Torah continue d'agir dans le christianisme. Par lui, la réalisation de la Torah devient la tâche des chrétiens — en tant que promesse et commandement de Dieu. Pat contre, le juif ne doit pas commencer par apprendre à connaître Jésus pour aimer la Torah. En tant que juif il trouve cet amour dans son héritage juif. Il va sans dire qu'un dialogue entre juifs et chrétiens ne peut se dérouler sérieusement que lorsque le partenaire juif lui aussi part du présupposé que Dieu a fait advenir dans le christianisme quelque chose qui le concerne « au nom de Dieu », même s'il n'y trouve pasune voie où il puisse ou doive marcher. C'est pourquoi les chrétiens se demandent si la présence vivante d'éléments juifs essentiels dans le culte chrétien, dans la proclamation chrétienne, dans la compréhension chrétienne des Ecritures, de même que dans la théologie chrétienne ne rend pas possible un intérêt juif pour la foi et la vie chrétiennes qui va au-delà d'une information détachée.
De leur côté, les chrétiens doivent accorder aux juifs que l'intérêt juif pour le christianisme peut être un intérêt « pour le Royaume des cieux » — même s'il ne conduit pas les juifs à devenir chrétiens. Une possibilité de comprendre l'intérêt des juifs pour le christianisme a été exprimée par le philosophe des religions juives, Franz Rosenzweig (1886-1929), quand il a dit: « Que Jésus ait été le Messie cela apparaîtra lorsque viendra le Messie. Une telle formule ambiguë ne signifie cependant pas que chrétiens et juifs sont libres de retarder jusqu'au « dernier jour » leur dialogue sur l'espérance qui les unit, et la question du Messie qui les sépare.
Dans le questionnement réciproque, une certaine reconnaissance de la manière dont l'autre comprend le salut peut donc très certainement s'exprimer. Les juifs peuvent reconnaître que, pour les chrétiens, Jésus est devenu la voie par laquelle ils trouvent le Dieu d'Israël. Mais ils feront dépendre leur évaluation de la voie chrétienne du fait que la foi des chrétiens — à savoir que le salut leur est accordé par le Messie de Dieu, issu du peuple juif — ne diminue pas, mais au contraire renforce leur obligation d'agir au service de la justice et de la paix. Les chrétiens comprennent Jésus comme la plénitude de la Loi et de la promesse uniquement lorsqu'ils le suivent « pour le Royaume des cieux », lorsque, ce faisant, ils écoutent sa parole: « Ce ne sont pas ceux qui disent "Seigneur, Seigneur", qui entreront dans le Royaume des cieux, mais ceux qui font la volonté de mon Père qui est dans les cieux. » (Mt 7, 21).
La mutuelle évaluation de la voie de chacun va donc indissociablement de pair avec de considérables divergences sur la manière de regarder Jésus et la question de savoir s'il est le Messie de Dieu. Mais cela ne contraint nullement ni les juifs ni les chrétiens de dissoudre le contenu de la parenthèse fondamentale, à savoir l'unique volonté de Dieu qui appelle. C'est pourquoi il est fondamentalement interdit aux juifs et aux chrétiens d'essayer d'amener l'autre à devenir déloyal envers l'appel de Dieu qu'il a reçu. Qu'on ne croie pas qu'une telle interdiction soit fondée sur des calculs tactiques. En l'occurrence, des raisons de tolérance humaine et de respect pour la liberté religieuse ne peuvent à elles seules être décisives. La raison la plus profonde doit plutôt être cherchée en ceci: c'est par le même Dieu que juifs et chrétiens se savent appelés.
Les chrétiens, en (vertu de leur propre compréhension de la foi, ne peuvent renoncer à témoigner de Jésus comme le Christ, également devant les juifs. Les juifs, en vertu de leur compréhension propre, ne peuvent renoncer à souligner la non-abrogation de la Torah, également devant les chrétiens. Dans l'un et l'autre cas, cela inclut l'espoir que, à travers ce témoignage, la loyauté de Vautre à l'égard de l'appel qu'il a reçu de Dieu pourra s'accroître, et que la compréhension mutuelle pourra s'approfondir. Par ailleurs, cela n'inclut pas que l'on s'attende à voir l'autre renoncer au « oui » de son appel ou l'affaiblir.
Les chrétiens croient que le Messie promis par les Écritures est venu en la personne de Jésus. C'est leur proximité avec le Dieu d'Israël qui les a familiarisés avec Jésus comme leur frère et, en même temps, leur a fait expérimenter l'amour de Jésus comme le don de Dieu pour eux. C'est pourquoi il ne leur semble pas suffisant de regarder uniquement Jésus comme un modèle éclatant. Au contraire, ils comprennent sa vie, sa mort et son retour comme la voie par laquelle Dieu veut conduire tous les hommes au salut.
Que l'amour de Jésus offre un espace pour tous, ils en voient la confirmation dans le fait que Dieu l'a exalté et lui a redonné la vie. Ce qui le différencie de tout dans le passé et de tout dans l'humain ne s'inscrit donc pas dans la ligne d'un simple accroissement quantitatif. En particulier, le concept d'un simple accroissement d'humanité dans le cas de Jésus pourrait aisément conduire à la fatale confrontation: les chrétiens sont, après tout, les meilleurs israélites. Une christologie qui reconnaît en Jésus le Fils de Dieu fait homme n'a pas besoin de telles mesures quantitatives. Elle a la possibilité — peut-être seulement à la suite de ses propres douloureuses expériences — de voir son but dans une communion avec Jésus, fondée sur le « oui » libre de la foi en lui, mais elle doit aussi savoir qu'existe la possibilité d'un compagnonnage ouvert et croissant avec tous ceux que Dieu a saisis. De cette manière, les chrétiens peuvent donner un sens acceptable à la phrase de Rosenzweig citée plus haut.
A la question des juifs — la stricte obligation d'accepter le seul et unique Dieu d'Israël (cf. Dt 6, 4-9) n'est-elle pas sacrifiée quand on confesse que le Fils de Dieu s'est fait homme? — les chrétiens répondent, avec leur foi et leur conviction, que c'est précisément Jésus qui a médiatisé et représenté pour eux le seul et unique Dieu d'Israël. Pour les chrétiens, le fait que Dieu se fasse homme dans le Christ ne signifie aucunement une négation de l'unité et de l'unicité de Dieu, mais au contraire leur confirmation.
Certes, le fait que Dieu se fasse homme suppose que le seul et unique Dieu d'Israël ne soit pas un Dieu isolé, sans relations, mais un Dieu qui se tourne vers les hommes et qui est lui aussi affecté par la destinée humaine. Cette caractéristique de Dieu, d'après les Talmudim et les Midrashim — encore que sans référence à Jésus ou sans lien avec lui — est de même connu du judaïsme rabbinique.
Il va sans dire que le judaïsme rabbinique, de son côté, sait que le seul et unique Dieu d'Israël n'habite pas seulement dans la transcendance, mais également au milieu de son peuple, soumis à la détresse et à la persécution — comme Seigneur, Père, compagnon et rédempteur.
Le dialogue entre chrétiens et juifs sur le Dieu vivant d'Israël est, en conséquence, un grand signe d'espoir.
2. La mission commune
En dépit du désaccord dans l'accord, que nous n'avons pas passé sous silence, juifs et chrétiens sont unis par le fait qu'ils ont reçu la mission d'agir et de témoigner ensemble dans le monde. Les tâches essentielles qu'ils auront à réaliser ensemble, pour bâtir l'avenir, sont entre autres les suivantes:
a) Comment, face au génocide commis contre les juifs et à la tentative de destruction du peuple juif, est-il encore possible de croire en Dieu? Comment est-il possible de porter devant Dieu la culpabilité et la souffrance, au lieu de les refouler ou de s'y polariser? Pour: les juifs et les chrétiens, et pour leur rencontre, quelle signification donner à l'anéantissement systématique de la plus grande partie du judaïsme européen? Quelle signification revêt pour eux la fondation de l'État d'Israël? Comment, devant la fondation de l'État d'Israël, comme événement central de l'histoire juive récente, est-il possible d'allier l'espoir millénaire des juifs dans le salut de Dieu à une action politique concrète dans le présent, sans préconiser soit une idéologisation de la politique, fondée sur la religion, soit une politisation de la religion?
b) Quel sens donner au fait que, dans un monde aussi polythéiste que jamais dans le passé (tout simplement les dieux reçoivent aujourd'hui des noms différents), juifs et chrétiens croient en un seul Dieu? N'est-il pas possible — ou mieux n'est-il pas obligatoire — pour les juifs et les chrétiens, en vertu de leur Révélation, de développer ensemble une critique de l'idéologie —dans un monde qui mène encore des guerres qui sont essentiellement des guerres de religion (ce qui devient clair lorsqu'on remplace le mot d'« idéologie » par celui de « religion »)?
e) Juifs et chrétiens n'ont-ils pas l'obligation commune, devant une situation mondiale qui menace la survie de l'humanité, de montrer et de prouver par l'exemple personnel ce que la Bible entend par justice et liberté?
d) Parmi les exigences fondamentales de la Révélation biblique, commune aux juifs et aux chrétiens, figure le respect absolu de la vie de l'autre être humain. Ils doivent ensemble spécifier les conséquences qui en découlent aujourd'hui pour la préservation de la dignité et des droits de l'homme. En particulier, ils devront élaborer une éthique des sciences, de la technologie et de la préoccupation de l'avenir (les hommes qui vivront après l'an 2000 sont aussi nos « voisins »).
e) Quelles conséquences concrètes tirer de la conviction, commune aux juifs et aux chrétiens, que l'homme a été créé à l'image de Dieu? Quelles obligations découlent du commandement, commun aux juifs et aux chrétiens, de l'amour sans restriction? (Cf. Lv 19, 18 et Mc 12, 30 et s.)
3. Le réexamen de la controverse sur la loi et la grâce
La rencontre des juifs et des chrétiens amènera également les deux parties à une plus claire perception des questions qu'ils se posent les uns aux autres.
Les juifs ne peuvent apporter une réponse convaincante au reproche que leur adressent les chrétiens de croire « à la justification par les oeuvres » que s'ils ne nient pas le danger qui pourrait découler de leur position. Et cela d'autant plus qu'ils savent qu'une mise en garde de la « justification par les oeuvres » fait partie de leur tradition religieuse. Le fait que la Torah prenne en compte la vie tout entière de l'homme n'empêche pas qu'elle soit dépendante de la miséricorde de Dieu. Les textes liturgiques, comme ceux qui marquent la célébration du Jour de l'Expiation, le jour sacré le plus important de l'année juive, pourraient fournir aux chrétiens une vue intime de cet aspect de la vie juive.
Les chrétiens ne peuvent apporter une réponse convaincante au reproche que leur adressent les juifs de souffrir d'un « manque d'éthique » que s'ils ne nient pas le danger qui pourrait découler de la possibilité que l'espérance de la grâce les détourne de leurs responsabilités dans et pour le monde. Et cela d'autant plusqu'ils savent qu'une mise en garde contre ce danger fait partie de leur propre tradition religieuse. Les textes de l'Église sur les relations entre la foi et les oeuvres (cf. Le Concile de Trente) et déjà l'avertissement de saint Paul touchant « la foi qui agit par amour » (Ga 5, 6) en sont d'éloquents exemples.
La critique portée par les juifs et les chrétiens contre la « justification par les oeuvres », et le fait que juifs et chrétiens ê se réjouissent dans la Loi » (cette réjouissance est aussi partagée par les chrétiens, comme Paul le reconnaît expressément dans Rm 7, 12) ont un but commun: préserver la capacité de prier et de célébrer Dieu. C'est la raison pour laquelle juifs et chrétiens ne trouvent leur voie dans le dialogue que lorsque, ensemble, ils reconnaissent ce qui est dit quotidiennement dans l'office juif du matin: « Nous ne nous appuyons pas sur notre propre justice, mais sur la grande miséricorde. » (Dn 9, 18.)
IV. Postscriptum
Les questions soulevées dans ce texte tendent à faire prendre conscience du fait que le dialogue judéo-chrétien ne doit plus rester le monopole de quelques spécialistes. En effet, les sujets énumérés ici plongent au coeur même de la compréhension que juifs et chrétiens ont d'eux-mêmes.
Au-delà même de leur contribution à la rencontre, juifs et chrétiens ont quelque chose de décisif à apporter à la compréhension de toutes les religions et aux problèmes de l'avenir de l'homme. C'est pourquoi l'atelier judéo-chrétien du Comité central des catholiques romains en Allemagne lance un appel à tous ceux qui sont responsables de la formation et du recyclage des prêtres et autres agents de la pastorale, aux organisations de la formation pour adultes, aux médias, ainsi qu'aux communautés et institutions juives. Il leur demande instamment de se consacrer de plus en plus dans les années qui viennent aux problèmes centraux du dialogue judéo-chrétien et de porter l'importance de ces sujets à l'attention du public.
(*) Texte original allemand. Traduction et sous-titres de la Documentation Catholique du 2 Mars 1980, N° 1781.
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Inserito 01/01/1970
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